Le début de la faim.

Messages : 12 Localisation : Brocéliande

Franchement, elle était bien contente de l'avoir croisé.
Au début, il lui a paru un peu bizarre. Même que son apparence pâle pouvait faire peur. Mais après avoir discuté avec lui, elle se dit qu'il n'en était rien. Il parlait plutôt bien... Et c'est bien connu, quand on est bien éduqué et qu'on montre une certaine intelligence du verbe, on ne peut pas être mauvais. N'est-ce pas?

Il avait semblé très intéressé par ses péripéties, ses misères avec les, ou plutôt la créature qui la boulottait à chaque fois qu'elle mettait un pied sur le champs de bataille à la recherche de champignons pour la soupe.

Et puis surtout il lui avait appris des choses. Des choses sur des créatures au nom qu'elle n'arriverait jamais à retenir, qui pouvait vous attraper et... Bref il ne valait mieux pas les rencontrer. Alors... Alors il avait parlé de cette fleur qui visiblement permettait de les éloigner... Il lui en fallait absolument ! Et il avait accepté de l'y conduire, prenant rendez-vous un peu plus tard... C'était bien gentil de sa part d'accepter ainsi de modifier son emploi du temps pour l'accompagner en cueillir... Surtout que lui il en avait encore... En huile pour le corps... ça pourrait même être intéressant de savoir comment en faire aussi un onguent. Ou un shampooing?

Elle s'était préparée à y aller, priant pour qu'ils ne tombent sur rien de trop agressif.
Finalement, elle était contente de l'avoir croisé, par hasard.

Mais maintenant il était temps d'aller cueillir des fleurs avec Urswyck

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C'est presque trop facile. D'habitude j'apprécie les défis, mais cette petite prêtresse est si délicieusement idiote que c'en est attendrissant.

Sa méfiance initiale, je l'ai déviée comme on éloigne un insecte importun, j'ai lancé un nom fantaisiste, complètement improbable, désignant une soi-disant créature effrayante, et elle a ouvert tout grand ses yeux limpides. Je crois que j'en ai été plus surpris qu'autre chose. Jamais personne n'aurait du gober l'existence des froaghzélars.

"Véloces comme des scolopendres, venimeux comme des aspics, intelligents comme des singes, moches comme des taupes nues et teigneux comme des roquets mal nourris. Terriblement agressifs, impitoyables dès qu'on approche de leur territoire. Ils adorent capturer leur nourriture et la suspendre au-dessus de leur nid, pour en boulotter les morceaux un par un. Leur salive contient un coagulant extrêmement efficace, ils pourraient te bouffer une main que tu ne perdrais pas plus d'un godet de sang. Pire encore... ils pondent leurs oeufs à l'intérieur de ton corps... et quand les petits éclosent... tu meurs, déchirée, puis mangée... "

Personne, personne n'y aurait cru. Le plus crétin des Orteils se serait mis à glousser. Mais pas elle. De même, quand je lui ai inventé que la fleur de gluzinnia protégeait contre ces calamités, elle a avalé cet autre gros mensonge comme une gorgée de vin fin.

Jamais je n'aurais rêvé trouver un tel joyau d'innocence, aussi pur, intact. Parfait. Tant de naïveté, ce sera un plaisir infini de la broyer tout doucement. Fragment par fragment, larme après larme. Par petites touches. J'en frémis à l'avance. Luvinia perdra chacune de ses illusions, de ses certitudes, une à une. Et quand elle sera dépouillée de tout, nue et tremblante, alors elle découvrira la vraie terreur, la vraie souffrance, la solitude absolue. Ce sera... incomparablement suave. Merveilleux.

Nous marchons entre les maisons branlantes d'Entika, dans les rues pouilleuses envahies d'herbe. Nous sommes partis à la recherche de la gluzinnia, à la découverte des redoutables froaghzélars. Je suis l'ami serviable et prévenant qui accompagne cette délicieuse créature, qui s'apprête à lui enseigner comment éviter les pires tourments sous les griffes de ces monstres. Et elle ne se doute de rien. Elle lève sur moi son regard clair, confiant, enfantin. Je lui souris, je suis sincère. Comme j'aime sa confiance. Comme j'aime son ignorance, aussi.

Quand j'ai raconté à Qyburn l'histoire de la petite prêtresse qui croit aux monstres et aux fleurs qui chassent les monstres, j'ai cru qu'il allait en avaler sa langue bifide, tant son fou-rire a été difficile à endiguer. Il me devait un service, et a accepté avec empressement de jouer ce rôle-là.

Je m'éloigne de ma douce petite proie, je vais voir cet herboriste dont je lui ai parlé, celui qui distille la gluzinnia et en fait cette huile qui parfume mon col. En fait l'huile est un extrait de fleur de sauge et de cerisier blanc, et il m'en reste quelques flacons dans ma tour. L'herboriste est aussi vrai que la gluzinnia, que les froaghzélars. Aussi vrai que mes bonnes intentions à l'égard de la belle Luvinia à la peau douce de pétale de rose.

Quelques pas, il n'en faut pas plus. La forme encapuchonnée du Mestre attend dans l'ombre, là-bas.

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Personne ne me croit jamais quand je dis que je suis d'un naturel serviable. Pourtant, voyez. Je suis là, je patiente depuis près d'une heure, juste parce qu'un collègue m'a demandé un peu d'assistance. Oh, non pas qu'il soit incapable de faire lui-même ce qu'il m'a donné pour mission, non. Il le pourrait, mais il ne le veux pas. Et je le comprends, oh comme je le comprends...

Je guette l'approche du lieutenant et de sa petite proie. Plus ravissante encore qu'il me l'a décrite. Une petite chose délicate, lumineuse, rayonnante de bonté et d'innocence. Une enfant dans le corps voluptueux d'une femme. Ah ces elfes... leur beauté m'a toujours subjugué. Et celle-là est sans conteste l'une des plus remarquables qu'il m'ait été donné de contempler. J'en viens presque à regretter le rôle que j'ai accepté de jouer...

Mais aussi, c'était irrésistible. Quand Urswyck m'a conté l'échange qu'il a eu avec cette petite, j'ai cru à un bobard. A vrai dire je le croyais encore à moitié il y a quelques instants, mais la confiance totale qu'il y a dans le regard de la petite prêtresse quand elle lève les yeux sur lui est incontestablement sincère. "Une perle blanche, parfaite et pure", m'a-t-il dit. Maintenant je le crois.

Ah... je viens de croiser le regard d'Urwyck. Il m'a vu, un discret sourire et un imperceptible signe de tête me le confirment. Ils approchent de ma cachette, cet étrange couple de pâleurs elfiques. Ils ne se ressemblent pas beaucoup... le teint de neige de la jeune fille est éclatant, celui du sorcier est blême et maladif, les cernes qui plombent son regard en permanence paraissent plus sombres encore à côté de la fraîcheur des joues délicates de la proie. J'entends sa voix à présent. Musicale et cristalline, aussi ravissante que sa personne.

Détruire tant de beauté... J'ai hâte.

Voilà, il s'éloigne et la laisse seule, elle me tourne le dos et le regarde partir. C'est le moment.
M'avancer silencieusement jusqu'à être sûr de ne pas la manquer, et là, maintenant, laisser traîner mes pas, ma lourde queue saurienne, qu'elle m'entende, se retourne. Je prends mon expression la plus sauvage, la plus sanguinaire, je montre mes crocs, je brandis mes griffes, je ricane comme un démon. Comédie. Mais elle écarquille les yeux, ouvre la bouche et hurle.

Je commence mon incantation, je la fais durer à dessein. Il faut qu'elle tente de fuir, qu'elle le voie revenir vers elle en courant, qu'elle remarque la frayeur et la colère qu'il simule, qu'elle entende son cri. Maintenant. Je libère les mille cristaux de glace de mon pouvoir destructeur, et ils frappent son corps charmant, l'entaillent, le déchirent. C'est... c'est divin. Mais tellement, terriblement bref...

C'est fini.
Urswyck parvient auprès de moi, un sourire aux lèvres, contemplant le corps inanimé, ensanglanté, de sa jeune compagne. Quel éclat dans ses yeux... presque autant de jouissance que dans le mien, sauf que son plaisir à lui est encore à venir. Il se charge de la jeune fille inconsciente, sans aucun égard pour les riches étoffes qu'il porte et qui s'imbibent de sang. Et nous reprenons la route du Château des Murmures, en devisant tranquillement. La jolie Luvinia respire à peine, son sang s'écoule, mais elle vivra. Oh oui elle vivra, j'en fais mon affaire. Et pas seulement parce que je l'ai promis à celui qui la serre sur son coeur comme son bien le plus précieux. Elle reviendra parmi les vivants, au-dedans des murs de la forteresse. Dans les griffes des Orteils de la Chèvre.
Les jours de l’innocence ont pris fin.
Et cette douce enfant l'ignore encore...
Mais nous lui apprendrons.
Patiemment.

(...la suite...)